jeudi 2 août 2012

Loué soit le poulet

Un syndicat de policiers a réagi à la publicité des poulets de Loué : « Un bon poulet est un poulet libre ». Il invoque le manque de respect dans un contexte déjà difficile, une profession décriée qu’il est inacceptable de ridiculiser, etc.

Pourtant, à y regarder de près, la publicité donne une idée plutôt positive, et presque gentiment franchouillarde de la police nationale.
D’abord le mot « poulet », certes familier, mais infiniment moins injurieux que d’autres surnoms. Par ailleurs, ce mot bénéficie de toute une mythologie gratifiante dans la culture : que l’on songe au film Adieu poulet, par exemple.
Grâce à la localisation géographique de Loué, l’affiche nous donne à voir un policier rural, et non urbain. Or la police des champs est une police paisible, par contraste avec la police des villes, confrontée à la violence. C’est la vraie police de proximité, avec son caractère archaïque, paternaliste, un peu pétainiste (retour aux champs, vertus de la campagne, etc.), celle qui rassure. Séguéla aurait pu inventer cette pub : une force tranquille se dégage de ce policier souriant, bien en chair, dodu comme un bon poulet de grain. Il nous ressemble.
Monté sur un tracteur, et non sur une moto ou dans une voiture, il incarne les valeurs enracinées de la France profonde ; il se déplace lentement, prend son temps, avance (ou reste immobile) à découvert (c’est un poulet de plein air) dans un monde hospitalier. Des instruments de la profession, il n’a que le képi stéréotypé, et pas d’arme.
Si on s’approche de la photo, on s’aperçoit que le tracteur orange, démodé et pourtant rutilant, comme si le temps s’était arrêté dans nos campagnes, est bien lisiblement de la marque « Renault ». Comme le poulet, le tracteur est bien de chez nous.
Si, dans les mois à venir, un sondage enregistre une nette progression de la confiance que la population accorde à sa police, il ne faudra pas en chercher l’explication dans des mesures gouvernementales mais dans cette affiche dont on dirait qu’elle a été commandée par le ministère de l’intérieur.


samedi 11 février 2012

Température ressentie

Par ces temps de grands froids, la météo donne la température en deux chiffres : les degrés Celsius et la température «ressentie», avec parfois des écarts importants.
En comparaison de la température ressentie, la température tout court n’est pas qualifiée : faut-il l’appeler «température-du-thermomètre» ou «température objective» ? Laquelle était déjà divisée en «température sous abri» et une autre, dont on supposait qu’elle était la température «exposée», en plein vent, et donc assez proche de la notion de température «ressentie».
Si l’on ne qualifie pas la température tout court, en la rapportant au banal instrument scientifique appelé thermomètre, c’est sans doute pour éviter d’attirer l’attention sur le fait que la température dite ressentie n’a pas d’instrument de mesure. Comment est-elle calculée? Est-ce une sorte de moyenne des impressions de température recueillies par des sondeurs auprès d’un panel représentatif de la population frigorifiée? Qui ressent? Le «ressenti» est évidemment variable d’un individu à l’autre, selon qu’on est ouvrier du bâtiment ou bureaucrate, vieux ou jeune, élevé à la spartiate ou dans un cocon. On connaît le début du dernier roman de Flaubert, Bouvard et Pécuchet: «Comme il faisait une chaleur de trente-trois degrés, le boulevard Bourdon se trouvait absolument désert.» Les deux bonshommes qui vont y apparaître ne ressentent pas la chaleur de la même manière: Bouvard est débraillé, Pécuchet recroquevillé dans sa redingote.
Si l’on signale désormais cette température ressentie, c’est que l’on est entré dans l’ère de l’individualisme poussé jusque dans les données objectives du quotidien. Voyez nos écrans: mon compte, mon profil, mes images, mon panier. Il faut faire semblant d’individualiser la température, en la séparant des degrés indiqués par le thermomètre, et en lui donnant une apparence d’objectivité par un chiffre qui ne signifie rien, puisque «mon ressenti» ne sera pas celui du voisin.
Encore un effort, et un malin créera une application baptisée «monressenti», qui me fournira, en fonction de la température extérieure, de la force du vent, etc., ma température personnelle, calculée en fonction de paramètres constants et variables: —ma température du jour (de 36°5 à 41°5)
— l’épaisseur de mon derme et de mon épiderme
— ma pilosité
— mes pelures d’oignon (nouveau slogan pour Damart Thermolactyl; au lieu de «Froid moi? Jamais!», quelque chose comme: «Mon ressenti? 20°»)
— mes antécédents psycho-dermatologiques
— ma pratique physique et sportive
— mon origine géographique (les civilisations ne sont pas égales au regard du thermomètre, on le sait depuis la théorie des climats de Montesquieu: les Inuits résistent mieux au froid que les Berbères)
— etc.
Quand chacun verra s’afficher sa température ressentie sur son portable ou sur sa montre, les météorologues pourront revenir à l’information objective d’une température unique. On aura, sinon moins froid, du moins les idées plus claires.


samedi 28 janvier 2012

Cellule psychologique

L’annonce d’une catastrophe, d’un drame collectif, d’un accident spectaculaire se termine généralement par une phrase qui tient lieu de chute: «Une cellule psychologique a été mise en place». Un crash aérien  Cellule psychologique. Un suicide sur le lieu de travail? Cellule psychologique. Le naufrage d’un paquebot abandonné par son capitaine? Cellule psychologique. Tout est dit. On peut passer à un autre sujet.
Le mot «cellule» rassure. C’est une petite structure close, qui nous protège. Notre corps en est fait. Les cellules grises aident à penser. Telle eau minérale rajeunit nos cellules. Les PC (pas les ordinateurs) étant morts, on a oublié l’autre sens de cellule, qui sentait le renfermé.
Avant l’invention des cellules psychologiques, le travail de deuil durait longtemps, comme un travail artisanal, un travail de soi sur soi. Après la période de grand deuil (six mois), venait le demi-deuil (six mois encore). Une année perdue, retirée du monde, des plaisirs, des distractions. Impensable dans un monde pris par la vitesse. Le deuil suit le rythme. «Les morts vont vite», disait Chateaubriand. Un drame chasse l’autre. La cellule psychologique remet très vite les traumatisés dans le flux des échanges, remet dans le circuit production - consommation, rebranche sur les réseaux, sans période de latence, et elle assure pour l’informateur et l’informé l’enchaînement rapide des faits divers violents. Nous sommes dans le monde simple et immédiat des slogans: Mars et ça repart, Urgo est là et la douleur s’en va.
Si une cellule psychologique est en place, alors tout va bien, c’est presque comme s’il ne s’était rien passé.


dimanche 15 janvier 2012

AAA(AA)

On dit «triple A», et non A! A! A!, car les agences de notation croiraient qu’on se moque d’elles.

Autrefois, les écoliers étaient notés de 0 à 20. Mais des pédagogues psychologues, ou l’inverse, ont trouvé ces vingt divisions trop subtiles et injustes (comment faire la différence entre 12 et 13 ?) et le 0 responsable de traumatismes. On a donc remplacé la notation chiffrée par des lettres, de A à E, censées donner un ordre de grandeur, situer dans un groupe, sans provoquer de chocs irréversibles. Mais les professeurs ont réintroduit des échelons supplémentaires, avec des + et —, soit, en combinant, vingt-cinq divisions avec les cinq lettres. On avait gagné en clarté.
Pourquoi les agences de notation ne donnent-elles pas de bonnes vieilles notes, de 0 à 20 ? Parce qu’avec quatre lettres (de A à D pour Standard & Poor's) répétées ou non, assorties de +, de —  et de chiffres, on arrive à vingt-huit combinaisons.
Réjouissons-nous toutefois, car le repas gastronomique des Français est entré l’année dernière au patrimoine mondial immatériel de l’humanité.
L’Association Amicale des Amateurs d’Andouillettes Authentiques n’est pas prête de perdre son quintuple A.
Comme l’avait déjà dit à peu près le père Ubu, c’est la charcuterie qui sauvera les Phynances du Royaume.


mercredi 11 janvier 2012

« Police des polices »

Peut-on faire encore confiance à la «police des polices»? L’expression, avec sa répétition bétonnée, sa structure à deux étages, n’était pas pour rien dans la bonne opinion qu’on pouvait avoir de cette institution. La dénomination officielle d’Inspection générale des services (IGS) ne produit pas le même effet sécurisant.
«Police des polices», c’est comme «le Roi des rois», «les siècles des siècles», «vanité des vanité», une formule biblique ou mythologique, grave, solennelle, bien hiérarchisée, construite au carré, contrôlée par le haut. Le citoyen se sentait rassuré à l’idée que la police elle-même n’échappait pas à la police.
Mais si la police des polices est aussi corrompue que la police, quelle Police de la police des polices faut-il imaginer pour placer une instance au-dessus de tout soupçon? À quel degré faut-il monter?
Au lieu d’ajouter un étage supplémentaire, il vaudrait mieux redescendre au rez-de-chaussée, et supprimer le niveau hiérarchique supérieur. Car on pourra rallonger la formule en multipliant les compléments du nom sans rien changer au problème. Ce n’est pas une question de degré mais de nature: une institution ne peut se contrôler elle-même. Le simple bon sens exige qu’il y ait une Justice de la police, que la police rende des comptes à la Justice, comme tout le monde, au lieu de ne relever que d’elle-même. Et si cette Justice était constituée de citoyens, alors les citoyens se sentiraient vraiment rassurés à l'idée que la police n'échappe plus à leur contrôle.


lundi 9 janvier 2012

Faire écrire

Sans doute avons-nous changé d'époque politique quand les dirigeants ont fait appel à des nègres diplômés (Normale Sup, ENA) pour rédiger leurs discours. On est passé du temps des auteurs à celui des interprètes, des performers, au fond interchangeables.

Mitterrand avait commencé, mais au moins c'était un secret d'état, aussi bien gardé que la maladie du Président. Eric Orsenna s'était fait taper sur les doigts, si je me souviens bien, quand il avait fait (laissé?) savoir qu'il écrivait à sa place certains discours.

Aujourd'hui, tout le monde sait que l'actuel Président n'écrit pas. Il ne s'en cache pas. Il s'en vanterait même. Une certaine forme d'honnêteté n'est pas éloignée du cynisme. Personne ne s'en étonne. C'est devenu le régime normal de la parole politique. Le citoyen trouvera bientôt inconvenant qu'un Président rédige lui-même ses discours: perte de temps, péché d'intellectualisme, vieux conflit entre la parole et l'action. Pour disqualifier l'opposition, dire: ils parlent, et nous agissons.


PS. Dimanche 22 janvier, Le Bourget. Discours de François Hollande. «Hollande écrit lui-même ses discours», dit son entourage. Les journalistes reprennent: il a mis deux ou trois jours à écrire lui-même son discours. Désormais, être l’auteur de ce que l’on dit ne va plus de soi. Il faut le préciser.