mardi 29 mars 2016

L’inventeur de l’e-mail


Ray Tomlinson est mort. Sa rubrique nécrologique, dans Le Monde (9 mars 2016), montre un homme plutôt bonhomme, jovial, souriant de la bouche et des yeux, avec une barbe qui excède les trois jours réglementaires pour être à la mode, une barbe indisciplinée.
Il n’a pas inventé grand-chose, finalement. L’arobase date de 1536, sous la plume d’un marchand florentin. À l’origine, « le but du signe était d’indiquer un prix unitaire » : 10 paires de chaussettes@2 euros. Le signe n’a pas quitté le domaine commercial : les mails sont des monnaies d’échange, cette « pièce de monnaie » mise « dans la main d’autrui en silence », ainsi que Mallarmé définissait la parole brute. « Le premier message a été envoyé entre deux machines qui étaient littéralement côte à côte. » Trop facile. Ray Tomlinson s’est envoyé les premiers messages à lui-même. Bon. Souvent interrogé sur le texte du premier message historique, il avouait l’avoir oublié parce que ce n’était pas mémorisable. « Probablement QWERTYUIOP », ce qui ne voulait rien dire. Un grand singe tapant sur un clavier. Il aurait pu s’arrêter là, pour éviter des billiards d’autres messages tout aussi oubliables. L’article signale que leur inventeur, « paradoxalement, utilisait les courriels avec parcimonie ». Paradoxalement ? Il ne paraît pas étrange d’éviter de s’écrire trop souvent des suites de caractères aléatoires. Chute de l’article : « il élevait des moutons nains ». Là, c’est logique. Il anticipait l’avenir de l’humanité, auquel il a contribué.

mercredi 23 mars 2016

Not dead



Ça fait du bien de l’apprendre. Et en anglais, pour que le monde entier le sache. Mais depuis qu’il a bombé cette déclaration, l’auteur est-il toujours en vie ? Et moi-même, juste après l’avoir lue…


Terroristes : toujours lourdement armés. On a découvert dans leur planque un véritable arsenal. Ils sont activement recherchés.


La force des terroristes, c’est qu’ils créent l’événement. On sait que le pire arrivera. Eux seuls décident où et quand, et au milieu de qui.


Sur les portails des fournisseurs d’accès, la terreur se fait une place à côté des futilités persistantes : people, mode, beauté, jeux, tendances, etc. Certes, il faut continuer à vivre, y compris de ces futilités dont les poseurs de bombes font un crime. Mais à quel niveau de drame faudra-t-il atteindre pour qu’on devienne graves ?

mardi 22 mars 2016

Visite guidée


« Il ne faut pas oublier que… », dit le guide. Ça ne risque pas : je n’ai jamais su. « À l’époque… » dit-il en décrivant un geste large qui embrasse plusieurs siècles. « Aux origines, c’est ainsi. » Respect quand il remonte aux temps premiers, si haut qu’on n’imagine même pas. « Je ne veux pas dire trop de bêtises. » Le « trop » est sans doute en trop, et jette l’ombre d’un doute sur ce qui suit, et ce qui a précédé.


Il arrive toujours un moment, dans les visites, où le guide quitte ce qu’il a lu dans des livres d’histoire, pour faire vivant. Il se lance alors dans une anecdote qui rapproche les hommes du passé des visiteurs que nous sommes. Ah, ils nous ressemblaient, pas meilleurs, pas pires que nous. Voilà qui fait vrai et qui nous rassure sur la permanence de l’espèce humaine. N’est-ce pas ce que nous venions chercher, dans ce lieu millénaire ?


Parmi les visiteurs se glisse toujours l’emmerdeur érudit, celui que joue André Dussolier dans On connaît la chanson, plus savant que le guide, posant des questions dont lui seul a la réponse.


Autre type : le visiteur qui attend que le groupe dégage pour prendre en photo la pièce vide. Les lieux touristiques, c’est décidément mieux sans les touristes.

lundi 21 mars 2016

Migrants


Quel pays étranger acceptera désormais de nous accueillir quand nous devrons quitter la France, chassés par la guerre civile, la crise économique ou une catastrophe climatique ?


Difficile d’imaginer que ces migrants à balluchons furent de quelque part, que leur vie ressemblait à la nôtre.


Il vaut mieux ne pas entrer dans l’idée qu’ils sont des hommes et des femmes comme nous, sinon nous devrions faire preuve d’humanité.


Comment s’émouvoir sur des chiffres, et sur des drames à répétition ? L’enfant mort le nez dans l’eau nous a fait pleurer parce qu’il était bien habillé. En haillons, il n’aurait pas pu être le nôtre.


Les hommes disposent d’une quantité d’humanité limitée, tout comme les glandes lacrymales.


1 migrant, on lui ouvre la porte.
10 migrants, on plante une tente.
100 migrants, on réquisitionne une caserne désaffectée.
1.000 migrants, on les parque dans un camp.
10.000 migrants, on les ventile sur tout le territoire.
100.000 migrants, on les reconduit.

mercredi 16 mars 2016

Procrastinateurs – 1


Quatre mousquetaires, aguerris ou amateurs, envisagent de créer une association de la Procrastination. La rédaction des statuts est en cours, et la date de l’assemblée générale sera fixée dans les jours qui viennent.
En attendant, ils échangent des messages.


Gilles C. — J’avais un ami procrastinateur qui, au moment de se mettre à table, repoussait toujours son repas au lendemain.
Il est mort hier.

J’ai un autre ami, procrastinateur au point qu’il mettait son réveil à sonner pour le surlendemain matin, tellement il avait peur du jour suivant.


Gilles F. — J’ai connu un homme qui a vécu pendant 150 ans.
Il ne se décidait pas à mourir.


Philippe A.
— signale que la journée mondiale de la proscrastination a été reportée ;
— recommande cette chanson du regretté Fernand Sardou ;
— a fait graver cette plaque pour l’association :


Yvan L. — Il y a des gens si pressés qu’ils expédient le jour même ce qui aurait mérité réflexion jusqu’au lendemain.
— C’est quand même beau de croire à l’avenir qui recule.
— « Demain, on rase gratis » : faux proscratinateur, qui espère tondre les vrais.

dimanche 13 mars 2016

Eau


H2O. Pourquoi deux eaux ?


Pour les pays chauds, on pourrait imaginer une eau en poudre.


Jean — Qu’est-ce qui se passe si on transpire dans l’eau ?


Ce calembour idiot qui ne me lâche pas : Pourquoi le chat n’aime-t-il pas l’eau ? Parce que quand il voit l’eau minet râle. — Comment s’en débarrasser ? Aussi incrustant qu’un ver d’oreille : ces refrains stupides qui gâchent la journée.

jeudi 10 mars 2016

Paris


Le train se traîne
Où la main l’amène
La Seine assène
Le cordeau d’un corps d’eau.


La Seine est si haute que la simulation de crue risque de se transformer en évacuation grandeur nature. Les sinistrés penseront qu’ils sont encore dans le virtuel. Simplement, les services chargés de l’exercice auront poussé la modélisation jusqu’à la réalité augmentée. Les pieds mouillés, eux, seront bien réels.


Café de Flore. Tout le monde regarde tout le monde, en cherchant une tête connue, vue à la télé. Car si l’on n’est pas reconnaissable, à quoi bon payer son café-croissant 7 euros 30 ? On devrait quand même, par précaution, demander un autographe à tous les clients, au cas où l’un d’entre eux aurait plus tard son quart d’heure d’éternité. À la table d’à côté : « Tout à l’heure, j’ai vu un type qui ressemblait à Fernandel. » Au moins un qui n’est pas ici.


Printemps des poètes dans le métro. Cette initiative fait l’unanimité : les poètes, les éditeurs, les voyageurs s'en réjouissent. Un « gratuit » nous apprend qu’un Francilien sur deux accède à la poésie grâce aux affiches de la RATP. Ce n’est pas nouveau : depuis longtemps, deux Franciliens sur deux pratiquent la poésie du métro, boulot, dodo.

lundi 7 mars 2016

De droite et de gauche


La Gauche fait une politique de droite. Il est arrivé à la Droite de prendre des mesures de gauche. Les extrêmes se rejoignent. Alors ? Peut-être le Centre respecterait-il la loi du Milieu.

À la boulangerie :
— Vous payez à ma collègue, à droite.
— Laquelle ? À votre droite ou à ma droite ?
— À droite. Client suivant.


— N’importe lesquels en noir, ou des préférences ?
J’avais demandé des chocolats. Il a fallu tourner sept fois la question dans la bouche avant de la comprendre.


Ce vieux monsieur qui radotait, son obsession consistant à désigner une trajectoire qui tirait toujours d’un côté, à gauche ou à droite, j’ai oublié, mais toujours de travers, impossible à redresser. Toute sa vie se résumait à cela : une force centrifuge irrésistible, menaçant de verser dans le fossé. Il avait quitté le droit chemin.

samedi 5 mars 2016

Vatel, Violier


Disparition du chef cuisinier Benoît Violier (31 janvier 2016). François Vatel, pas vraiment cuisinier mais « contrôleur général de la Bouche », un titre plus large, a ouvert la voie. Après lui, sur la longue liste du martyrologue de la profession, Bernard Loiseau, pour une note baissée et une étoile perdue. Pression du métier, plus forte ici qu’ailleurs.
Mais le suicide de Benoît Violier ne répond pas à des motivations connues : ni marée en retard, ni rétrogradation. Il avait trois étoiles et n’était pas menacé d’en perdre une. Élu en décembre Meilleur restaurant du monde. « Il cuisinait bien. Il donnait l’impression d’être parfait. » C’était un homme heureux. Il avait tout. Un grand chef dit : « S’il existait une quatrième étoile au Michelin, Benoît l’aurait eue… ». Et lui se demandait : « Comment vais-je faire maintenant, puisque je ne peux pas aller plus haut ? » (Le Monde, 14-15 février 2016)
Il ne pouvait que plafonner sous le verre ou redescendre. 44 ans, chiffre parfait, comme 33. On peut se suicider pour aller chercher sa quatrième étoile plus haut, au ciel des cuisiniers. Loiseau est tombé ; Violier voilier a rejoint Icare.


mardi 1 mars 2016

En lisant de vieux Monde


Plaisir à lire des articles inactuels, périmés de quelques jours, d’un siècle. Devenus intemporels, tellement ils sont dépassés.


Mort d’Anissa Makhlouf (6 février 2016), mère de Bachar Al-Assad. Il avait donc une mère, qui lui a peut-être tiré une larme. Institutrice, elle était attachée à la discipline. Jusqu’à la mort de son mari, Hafez Al-Assad, elle se limita « aux visites rendues aux orphelins des soldats morts ». Sous le règne de son fils, le nombre des orphelins augmenta en telle quantité qu’elle dut arrêter ses visites.


« Lustiger entre deux points cardinaux » (5 février). En lisant les premières lignes de l’article, on comprend cette expression mystérieuse : le cardinal Lustiger, né juif, s’était converti au christianisme. Le journaliste n’aurait-il pas pu écrire : « entre judaïsme et christianisme » ? Non, car il faut désormais une « accroche » accrocheuse. C’est Libération qui a introduit, il y a longtemps, cette mode des jeux de mots sérieux, repris aux jeux de mots comiques du Canard enchaîné. On peut préférer le temps neutre où Le Monde écrivait tout uniment : « Anquetil est mort », au lieu de titrer, comme les autres : « Anquetil : le dernier tour de piste ».


Un concert commencé le 13 novembre 2015 et terminé le 16 février 2016. C’est sans doute le plus long entracte de l’histoire du spectacle vivant.