dimanche 30 avril 2017

Roulette russe


À partir du vendredi minuit, la campagne officielle s’arrête, et à la radio, le vaste monde se remet à exister, les gens se parlent. Comme les jours de grève où l’antenne n’est pas en mesure de diffuser les programmes habituels, brusquement, la musique.

Les médias publics sont tenus à une stricte égalité du temps de parole, de présence, d’antenne. Mais quelle instance régulatrice veillera à l’équilibre entre les manières de langage ? Quand un journaliste dit de tel-le candidat-e qu’il ou elle « occupe le terrain » ou « drague les électeurs », les connotations sont-elles prises en compte par une subtile balance sémantique ?

Depuis le 21 avril, et peut-être avant, le vote est le résultat d’un jeu stratégique à deux ou à trois bandes : voter pour un candidat pour en dégager un autre. Déposer un bulletin dans l’urne s’apparente de plus en plus au billard, au jeu d’échec, et bientôt à la roulette russe.

Il y a eu les chaussures Berluti de Roland Dumas, à 11 000 F., les chaussures cirées à l’Élysée du conseiller Aquilino Morelle. Le poisson pourrit toujours par la tête, mais il se décompose aussi par les pieds.

vendredi 21 avril 2017

Copié / collé


D’après Le Canard enchaîné du 19 avril 2017, François Fillon a embauché Joseph Macé-Scaron pour muscler ses discours. Dans une vie antérieure, l’écrivain et journaliste fut convaincu de multiples plagiats (voir ici). En lettré, il se plaça sous l’autorité de Lautréamont et de Montaigne, qui eux aussi copiaient des citations, mais avec la candeur de nommer les auteurs des originaux. Il invoqua la notion d’intertextualité analysée par Gérard Genette dans Palimpsestes : on y chercherait vainement un chapitre sur le plagiat, qui n’est ni l’imitation ni la transformation d’un texte antérieur, mais un vol pur et simple, et comme tel puni par la loi. Joseph-Macé Scaron ne fut pas inquiété, et il resta quelque temps à la tête du Magazine littéraire. Que le parti LR se rassure cependant : rédigeant les discours de François Fillon, cette plume mercenaire ne risque pas d’ajouter aux chefs d’inculpation du candidat celui de plagiat, puisque son programme ressemble déjà en bien des points à un copié/collé d’un programme voisin.

Comment composer un gouvernement idéal ? Des chevaux de retour ? Des représentants de la société civile ? Des experts a-politiques ? L’amie D. me rappelle que le gouvernement Mauroy de Mitterrand était composé de Cresson à l’agriculture, Delors aux finances, Deferre à l’intérieur, Le Pensec à la mer. Peut-être faudrait-il généraliser la pratique des aptonymes, garants des aptitudes et des compétences, et susceptibles de rassembler tous les Français.

samedi 15 avril 2017

Politique


Le candidat demande à pouvoir « dérouler » sa proposition sans être interrompu. Voilà qui nous remet en mémoire cette publicité pour une marque de papier toilette, dans laquelle on voyait un enfant tirant en continu sur le rouleau blanc.

Prendre ses responsabilités : expression favorite d’un irresponsable politique s’adressant sur un ton solennel à un autre irresponsable.

Moi, Président…, quinze fois. On sait depuis ce qu’est une anaphore. Je me retirerai si… / Je ne me retirerai pas, bien que... J’ai commis des erreurs. / Je n’ai pas commis d’erreurs. Cela s’appelle une palinodie. Toujours plus dégoûtés de la politique, les Français font au moins des progrès en rhétorique.

Le Revenu universel d’existence s’abrège en RUE. Ainsi, tous les Français seront à la RUE. Il deviendra ensuite le Revenu universel temporaire.

Manuel Valls a payé très cher des sondages d’image, pour savoir comment les Français percevaient ses oreilles dissymétriques, une gauche collée, une droite décollée. La suite a prouvé que la position de ses oreilles, gauche et droite, anticipaient son avenir politique

jeudi 6 avril 2017

Courroux en Guyane


« Il serait facile, aisé de céder à la facilité », a dit le premier ministre. La presse écrite, charitable, a supprimé « facile », qui faisait pléonasme. Pourtant, c’était plus clair.

« Pou La Gwiyann dékolé. »
Ils ont raison de revendiquer : construction d’écoles urgente.

Ils ont eu le bagne.
Ils ont la fusée Ariane.
Pourquoi donc ce courroux ?
(Il est facile de céder à la facilité.)

On verrait bien dans le programme de quelque candidat, ou candidate, la réouverture du bagne de Cayenne, pour délinquants des territoires d’Outre-mer et autres, dans le but d’assurer le développement économique du département français n° 973.

Ses conseillers ont dit à la ministre des Outre-mer que les Primitifs aimaient les images fortes, les expressions toutes faites. Alors, elle veut « graver dans le marbre » les accords. C’est encore un matériau de riche.

Macron prend la Guyane pour une île. Ah non, il voulait parler de l’île de Cayenne. À ce compte, Paris aussi est une île, et même deux.

« La fusée Ariane restera au sol tant que la Guyane ne décollera pas. » Génie du « peuple guyanais », comme dirait la ministre (laquelle aurait pu ajouter « Vive la Guyane libre ! »), qui a le sens de la métaphore mobilisatrice. Ariane Espace pensait être tranquille en implantant la rampe de lancement chez les Sauvages. Mais voilà que tant de milliards tirés en l’air donnent des idées aux pauvres. Ils veulent des retombées, pas seulement la pollution et les débris.

dimanche 2 avril 2017

L’allégorie de l’écrivain et du politique


S’il était possible de tenir pour négligeables les personnalités de Christine Angot et de François Fillon, on pourrait voir dans leur face-à-face télévisé du jeudi 23 mars sur France 2 une allégorie de la rencontre ratée, toujours ratée, entre l’écrivain et le politique.

L’écrivain arrive avec un texte écrit, bien écrit mais mal lu. Il n’a pas le don de l’improvisation, ni de la répartie. Écrire, c’est le contraire de parler. Le politique sait parler, il ne sait faire que cela, d’ailleurs, parler en public. Son pouvoir se confond avec la maîtrise de la parole. Il parle haut, fort et distinctement. On lui a préparé des fiches mentales, des éléments de langage. L’écrivain bredouille, bafouille, il fait des brouillons oraux. « C'est déjà tellement difficile de parler. C’est à ça que sert la littérature, parce qu'on ne peut pas parler avec des gens comme vous. »

Le politique s’épanouit dans le débat, faux débat, préparé, sans écoute, mais il installe un semblant de dialogue. L’écrivain monologue. « Ce n’est pas un dialogue », dit-elle. La vérité de sa parole est en quelque sorte verticale, ciel des idées et profondeur des tripes. La parole politique est horizontale, comme un jeu de raquettes truqué.

L’écrivain est hystérique. Il exprime des émotions, parle avec son corps. Il somatise la violence du corps social. Le politique s’est dressé à la répression des sentiments. Il feint d’être le porte-parole d’une société sans violence. Comme l’État, c’est un monstre froid. Quand il s’échauffe, « fend l’armure », comme on dit, c’est pour la galerie.

Le politique a un public avec lui, pour lui, des soutiens physiquement présents, qui applaudissent, conspuent, insultent. L’écrivain est seul. Ses lecteurs ne sont pas ses électeurs.

À la fin, c’est le politique qui gagne à court terme, et l’écrivain à long terme.